La ville de Québec est en crise d'identité. Pas étonnant, la capitale francophone d'Amérique, hôte du Sommet de Amérique en 2001, plus vieille ville d'Amérique du Nord (qui vient de célébrer son 400ème anniversaire en 2008), trésor mondial de l'Unesco, se lance sans la moindre cohésion dans toutes les directions depuis que l'attention (et de massives subventions) se ruent sur elle. Les illuminés, opportunistes et charlatans de tout acabit se passant littéralement le flambeau pour faire « rayonner », selon leurs propres fantasmes, le village sur la scène internationale.
Sans prévenir, le maire Régis Labeaume, estimant que Québec aurait soudainement besoin d'une nouvelle image de marque -- quelque chose de neuf et percutant digne de sa « grande » ville, a récemment fait appel -- sans l'approbation du conseil municipal -- à « Maître » Clotaire Rapaille, une espèce de gourou psychédélique aux honoraires généreux, pour déloger, perché derrière ses sempiternels verres fumés, à l'aide d'une méthode obscure de son cru, le « code de Québec ». Celui-ci permettra, croit-il, de mettre en lumière la véritable nature intrinsèque profonde de la ville et de ses habitants.
L'étrange gymnastique donne lieu depuis à une incessante mascarade. Ayant probablement changé depuis peu de médication (cela expliquerait aussi bien ses honoraires fabuleux que les verres fumés), notre expert marketing s'enfonce avec son maire dans un délire psychanalytique. Les Québécois, aussi « sado-masochistes » ou « névrosés » puissent-ils être, n'ont pas envie, malgré l'orientation nettement touristique que la vieille cité a inexorablement adopté au cours de la dernière décennie, de se faire brander comme étant de vulgaires valises.
Il y a certes de lourdes tendences technocrate, réactionnaire et corporatiste bien établies dans la vieille capitale, qui donnent nécessairement lieu à toutes sortes de troubles somatiques. Le seul fait d'avoir eu recours à son « expertise » en est symptomatique. Or, M. Rapaille, dans toute son inexorable verve, fait selon nous preuve d'un réductivisme impardonnable en évacuant l'essentiel des contradictions réelles qui constituent, à notre avis, l'essence de ce qu'est Québec, ou peut-être, pour être plus exact, de la transformation que Québec est en train de subir depuis quelques années, en général malgré même les gens qui l'habitent -- ou l'ont fuie depuis.
Avec ses lunettes noires, le diseur de bonne aventure du marketing corporatif ne semble aperçevoir que la surface du problème, incapable de discerner ce qui se passe dans les interstices, ce qui se passe dans l'ombre du béton et des matériaux cheap des nouveaux développements, la véritable pâte sub-culturelle, le ciment qui tient tant bien que mal en place les éphémères artifices érigés par des troupeaux de bureaucrates asservis à leur propre conception bien limitée et rectiligne de la culture et de l'urbanisme, et sans lequel cette vieille ville n'aurait tout simplement aucune valeur qu'historique.
S'il faut donner une image définitive à Québec, il faudra bien qu'elle reflète cette contradiction inhérente, ou, à tout le moins, qu'elle ait une contre-image. Déjà assez de s'être fait clôturer et gazer en 2001, puis « enrubanner » avec le 400ème, il n'est pas question de se faire refaire la face une autre fois par quelques illuminés en mal d'auto-glorification personnelle.
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