samedi, février 18, 2012

Il me manque quelque chose.

Je pourrais sytématiquement répondre: "du temps" ou "de l'argent". Cependant ce ne sont là que des abstractions d'homme, qui n'ont aucune existence tangible potentielle. Conséquemment, le vrai manque se trouve ailleurs.

Peut-être est-ce précisément l'absence naturelle de temps et d'argent qui me manque autant. Combler un tel déficit aurait des implications sans commune mesure sur l'espace social. Et c'est peut-être à cette mesure que je devrais considérer mon manque.

Peut-être est-ce là le problème général du langage, de la logique, de la science et la raison: encore, au demeurant, d'autres abstractions. L'homme est d'abord un animal physique, né dans un monde de choses concrètes en relation, en transformation et en mouvement. Il est très adapté à vivre dans un tel monde. L'arbre est un arbre, la bête est une bête, ce qu'ils font est sans équivoque, il n'y a pas à revenir là-dessus. Mais les choses se compliquent au moment même où, aspirées par leur propre abstraction, commence leur chosification.

On dit de l'homme qui regarde l'arbre qu'il ne voit pas la forêt, on peut également tenir l'inverse pour vrai. Et lequel des deux est le plus près de la réalité ? Si l'homme qui voit la forêt ne vois plus les arbres, il en rate très certainement l'essentiel.  Tandis que son camarade, qui regarde l'arbre, sera en mesure de porter son attention sur chacun des arbres, de distinguer l'un de l'autre. Il pourra connaître intimement la forêt - malgré son incapacité à la désigner comme telle. La science des forêts ne serait d'aucune utilité à l'autre qui s'y trouverait soudaiment plongé: étant aveugle aux arbres, il n'aurait aucune certitude de se trouver dans telle ou telle forêt.

Il semblerait qu'il en soit ainsi du temps et de l'argent, et de bien d'autres choses. Et on pourrait même conclure, dans chacun des deux cas évoqués, qu'autant l'abstraction est précise, autant la perte est grande. Car non seulement faut-il admettre qu'en voyant le temps, on ne distingue plus l'instant; et qu'en voyant l'argent, on ne distingue plus ce qu'on se procure avec - ni selon quelle bêtise on se retrouve réduit à s'aliéner celui-ci et celui-là pour l'obtenir; mais faut-il aussi remarquer que la précision de cette abstraction, apparemment sans bornes, peut également occulter une abstraction plus profonde, plus sourde, moins exacte et peut-être plus primitive, voire mythologique: la précision du temps élimine en effet le temps au sens plus large (la mémoire, la tradition et l'Histoire, en bref, le temps tue "les temps" jusqu'à nos origines essentielles) tandis que la précision de l'argent (le "juste prix" économique) éradique au passage toutes les valeurs, et l'économie en général (au sens original grec d'"ekonomos": le "ménage", en tant que métabolisme de l'ordre social).

Comment conclure ce raisonnement (car c'est bien la forme de ce texte) ?

(Québec, 12 avril 2010)

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